dimanche 3 juin 2007

On a tous quelque chose en nous de Hay Mohammadi

J'ai un air qui me trotte dans la tête depuis une bonne semaine. Je le chantonne à longueur de journée et le décline sous tous les formes : siflotté, susurré, chantonné, tapé sur des djembés de fortune (tableau de bord, bout de table ...).

C'est Allah ya moulana des Nass El Ghiwane, repris en hommage bougif par une jeune marocaine au joli timbre de voix (Nabila Maan). Hit Radio, en bonne représentante de la branchitude ambiante, le passe en boucle. Et pour une fois, je cède à la "tendance" (qui avec le mot "hein" me fait courber le dos et montrer les canines).

Bien entendu, rien n'égale la version originale des Rolling Stones de l'Afrique, et de Hay mohammadi plus précisément. D'ailleurs, en farfouillant dans les dédales du net à la recherche du clip de Allah ya moulana, j'ai déniché ce petit bijou qu'est "Transes", un film- docu sur les Nass El Ghiwane.




On y retrouve les cinq casablancais de choc, notamment sur scène et à travers le morceau El Sinya, qui est ce que l'on pourrait appeler un ciment générationnel : parents et enfants d'aujourd'hui reprennent tous en choeur ce monument national. Roots, comme dirait quelqu'un de ma connaissance.
Au hasard de mes lectures, j'ai appris que cette chanson était un refrain chantonné par un clochard de Hay Mohammadi. Bba Salem, le clodo en question, fredonnait en boucle :

"Ya li ma cheftouni rahmou aalia
Ouana rani mchit , ouana rani m'chit oua el haoul ddani
Oualdia oua h'babi ma skhaou biya
Bahr el ghiwane ma d'kheltou bel3ani !"

Ce qui est tombé dans l'oreille de Batma, qui l'a complété en la version que l'on connaît.

Enfants chéris de mon bitume national de Lalla Casablanca, Larbi Batma, Boujemaa, Omar Sayed, Allal Yalla et Paco ont réussis à apporter jusqu'à nous cet air lancinant des années 70. Reflétant largement l'ambiance sociale du moment, les mélodies du groupe laissent transparaître le profond mal-être d'une jeunesse marocaine qui n'allait pas tarder à être muselée par des années de plomb castratrices.

Et c'est en cela que le film est également marquant. On sent à plein nez le Maroc et ses mouvements sociaux, ses rites, son mélange de cultures africaines, musulmanes, païennes, rurales et citadines, et l'art populaire comme moyen d'exorciser le blues latent.

Les concerts sont des scènes de transes générales, et les Ghiwane sont à l'image de vraies rock stars face à des fans hystériques ! Sauf que dans le cas présent, les midinettes ennamourées sont remplacées, majoritairement, par des moustachus testostéronés à patte d'éph'.

Bref, écouter Nass El Ghiwane me réconcilie avec beaucoup de choses, notamment le fait d'être moi-même d'ici, quoiqu'ayant parfois le sentiment d'être d'ailleurs.
Et j'en apprécie d'autant plus la version de Nabila Maan car elle représente exactement la jeunesse marocaine d'aujourd'hui : les traditions sont là, tatouées dans les subconscients tel un label indélébile ; on reconnaît sa marocanité, voire sa casouité intensive, mais la modernité n'en recule pas moins.

C'est un caftan un peu court, c'est une belgha au pieds d'un jean, c'est une darija batarde, c'est des ptits jeunes tout droit sortis de mangas japonaises ou de BD gothiques attablés dans une mahlaba (croisés hier, sur leur chemin vers L'Boulevard des jeunes) ... c'est le mix de l'ouverture, et c'est ça le Maroc qui m'émeut : une Babel qui se reconnaît en tant que telle.

6 commentaires:

O.B a dit…

Personnellement j'aime moins la version de Nabila Maan malgré le modern beat. Sinon comme tu as dis on a tous quelque chose de H.M.
Il y'a quelques années, la veille d'un 21 juin.. j'étais avec quelques copains de débauche je leur expliquais que Nass ElGhiwane allait se produire pour un grand concert gratuit à la place des nations unies de Casa. Ils n'ont pas arrêté de se moquer de moi. Après j'ai compris que leur réaction laissait comprendre que le groupe n'existe plus ! Et Maintenant ils sont (toujours) là, ils jouent même à l'Olympia (avec said moskir, nabila maan entre autres).
Un jour, ils se produiront à Central Park et çà sera probablement à cause de gens non marocains comme martin scorsese.

PS: Encore Hier, ma voisine de route avait une converse blanche au pied gauche et une noire dans l'autre.

Couscous Poulette a dit…

Salut Ouss Bey :)Je suppose que tu mentionnes Scorsese vu qu'il est, paraît-il, l'auteur de l'expression "Rolling stones d'Afrique" et qu'il a aimé le film "Transes", diffusé hors-concours à Cannes.

Quant au fait d'avoir besoin de "l'étranger" pour rehausser l'image de notre art et folklore national, c'est en partie vrai.
Manque d'organisation, de budget, passif de cassage systématique de toute activité qui développerait le libre penser ... Vas savoir, quoique j'ai ma petite idée.

Tant qu'une haute autorité de branchitude avérée ne labellise pas avec un tag "cool" une oeuvre artistique, personne n'en parlera.
Personne s'adressant ici, particulièrement, à tout bon produit de la mission, élevé au grain des 6 heures d'arabes par semaine, par des profs à la motivation hors norme.
cqfd : Nass el ghiwane, ça le ferait pas !

Bon, en ce qui me concerne, on va dire que j'ai des "curiosités", que j'essaye de voir ce qu'il se fait du côté de chez S-wouam, et que de là à dire que j'apprécie le répértoire de El Hajja el Hamdouia ce serait mentir, mais bon, j'essaye de goûter aux choses avant de dire Niet. Mais Nass El ghiwane, c'est un sujet à part, renforcé par toutes les légendes brodées autour d'eux et que j'entend depuis toujours.

Alors oui, à quand un mega concert à Central Park ou a Wembley, des Nass el Ghiwane, avec tout le public qui chanterait en coeur un revival en english : Where are U takin’ me, brother ... ;) ou qui se dém. pour le chanter en arabe, dans le texte !

Anonyme a dit…

Youpiiiiiiiiiiiii ça marche!
je reviens ce soir poster un vrai truc à dire (au moins j'essairais), puisque là je t'écris des conneries sur le dos de mon employeur!!Conscience, quand tu nous tiens*....

Anonyme a dit…

Poulette, l'inspiration d'hier est partie, ba7h, mais par contre y'a une invitation pour toi sur mon blog!!!
bizzz

Anonyme a dit…

je n'ai aucune idée de l'âge que tu peux bien avoir mais j'ai vécu en live le phénomène El ghiwan. je me rapelle avoir assité à leur toute première représentation au théâtre municipal de casablanca, présentés par Taîeb seddiki lui même, où ils avaient chanté une chanson pratiquemnt inconnue aujourd'hui: "Qitati Saghira"

j'avais écrit un article publié en dossier dans la revue culturelle "Ougarit" il y a quelques temps voici le lien sur mon blog
http://roquinerien.blogspot.com/2005/06/le-hl-ou-la-transe-cabalistique-du.html

cordialement

kb

Couscous Poulette a dit…

Très bon article que le tien ! Je dois admettre que je ne connaissais pas la revue Ougarit. Son projet me semble proche de celui de l'Association Alternative, une nouvelle société civile en quelque sorte, ici focalisée sur la Culture (je schématise).
Sinon, je suis née dans la décennie qui a vu naître les Ghiwane, mais du côté de la tournée Belge. Voilà :) Tiens, que deviens Tayeb Seddiki ? Je m'en vais de ce pas quêter l'info.

Merci pour le commentaire.

Bien à vous,

Couscous Poulette